comment savoir s'il les perçoit ou s'il les fantasme ? Je ne connais pas de croyant qui soit plus certain de la vérité de sa foi que je ne le suis de celle de mes rêves, quand je dors. C'est dire assez qu'une certitude, tant qu'elle reste purement subjective, ne prouve rien. C'est ce qu'on appelle la foi: « une croyance qui n'est que subjectivement suffisante », écrit Kant, et qu'on ne saurait pour cela imposer - ni théoriquement ni pratiquement - à quiconque.
Dieu, pour le dire autrement, est moins un concept qu'un mystère, moins un fait qu'une question, moins une expérience qu'un pari, moins une pensée qu'une espérance. Il est ce qu'il faut supposer pour échapper au désespoir (telle est la fonction, chez Kant, des postulats de la raison pratique), et c'est pourquoi l'espérance, autant que la foi, est une vertu théologale - parce qu'elle a Dieu même pour objet. « Le contraire de désespérer, c'est croire », écrit Kierkegaard: Dieu est le seul être qui puisse satisfaire absolument notre espérance.
Que cela, à nouveau, ne prouve rien, c'est ce qu'il faut reconnaître pour finir: l'espérance n'est pas un argument, puisqu'il se pourrait, comme disait Renan, que la vérité fût triste. Mais que valent les arguments qui ne laissent rien à espérer ?
Ce que nous espérons ? Que l'amour soit plus fort que la mort, comme dit le Cantique des cantiques, plus fort que la haine, plus fort que la violence, plus fort que tout, et cela seul serait Dieu véritablement l'amour tout-puissant, l'amour qui sauve, et le seul Dieu - parce qu'il serait absolument aimant - qui soit absolument aimable. C'est le Dieu des saints et des mystiques: « Dieu est amour, écrit Bergson, et il est objet d'amour: tout l'apport du mysticisme est là. De ce double amour le mystique n'aura jamais fini de parler. Sa description est interminable parce que la chose à décrire est inexprimable. Mais ce qu'elle dit clairement, c'est que l'amour divin n'est pas quelque chose de Dieu: c'est Dieu lui-même. »
On objectera que ce Dieu est moins une vérité (l'objet d'une connaissance) qu'une valeur (l'objet d'un désir). Sans doute. Mais croire en lui, c'est croire que cette valeur suprême (l'amour) est aussi, la vérité suprême (Dieu). Cela ne se démontre pas. Cela ne se réfute pas. Mais cela peut se penser, s'espérer, se croire. Dieu, c'est la vérité qui fait norme - la conjonction du Vrai et du Bien -, et la norme, à ce titre, de toutes les vérités. Le désirable et l'intelligible, à ce niveau suprême, sont identiques, expliquait Aristote, et c'est cette identité, si elle existe, qui est Dieu. Comment mieux dire que lui seul pourrait nous combler ou nous consoler absolument ? « Seul un Dieu pourrait nous sauver », reconnaissait Heidegger. Il faut donc y croire ou renoncer au salut.
C'est pourquoi Dieu fait sens, notons-le pour finir, et en donne: d'abord parce que tout sens, sans lui, vient buter sur l'insensé de la mort; ensuite parce qu'il n'est de sens que pour un sujet, et de sens absolu, dès lors, que pour un sujet absolu. Dieu est le sens du sens, et le contraire pour cela de l'absurde ou du désespoir.
Existe-t-il ? Nous ne pouvons le savoir. Dieu serait la réponse à la question de l'être, à la question du vrai, à la question du bien, et ces trois réponses - ou ces trois personnes... - n'en feraient qu'une.
Mais l'être ne répond pas: c'est ce qu'on appelle le monde.
Mais le vrai ne répond pas: c'est ce qu'on appelle la pensée.
Le bien ? Il ne répond pas encore, et c'est ce qu'on appelle l'espérance.