ni ne justifie qu'on renonce à penser. Il n'y a pas de preuve, mais il y a des arguments. Je voudrais, puisque je suis athée, en esquisser quelques-uns.

Le premier, très simple, est purement négatif: une raison forte d'être athée, c'est d'abord la faiblesse des arguments opposés. Faiblesse des « preuves », bien sûr, mais aussi faiblesse des expériences. Si Dieu existait, cela devrait se voir ou se sentir davantage ! Pourquoi Dieu se cacherait-il à ce point ? Les croyants répondent ordinairement que c'est pour préserver notre liberté: si Dieu se montrait dans toute sa gloire, nous ne serions plus libres d'y croire ou non...

Cette réponse ne me satisfait pas. D'abord parce qu'à ce compte nous serions plus libres que Dieu (comment pourrait-il, le pauvre, douter de sa propre existence ?) ou que plusieurs de ses prophètes (qui sont censés l'avoir rencontré en personne), ce qui paraît philosophiquement et théologiquement difficile à penser.

Ensuite parce qu'il y a toujours moins de liberté dans l'ignorance que dans le savoir. Devrions-nous, pour respecter la liberté des enfants, renoncer à les instruire ? Tout enseignant fait le pari inverse, et tout parent: que les jeunes seront d'autant plus libres, au contraire, qu'ils en sauront davantage ! L'ignorance n'est jamais libre; la connaissance, jamais serve.

Enfin, et surtout, parce que l'argument me semble incompatible avec l'image, aujourd'hui dominante, d'un Dieu Père. Que je respecte la liberté de mes enfants, c'est évidemment souhaitable. Mais leur liberté est de m'aimer ou pas, de m'obéir ou pas, de me respecter ou pas, ce qui suppose... qu'ils sachent au moins que j'existe ! Quel triste père ce serait, celui qui, pour respecter la liberté de ses enfants, refuserait de vivre avec eux, de les accompagner, et même de s'en faire expressément connaître ! La Révélation? Mais quel père se contenterait, pour élever ses enfants, d'une parole adressée à d'autres, morts depuis des siècles, et qui ne leur serait transmise que par des textes équivoques ou douteux ? Quel père renverrait ses enfants à la lecture de ses œuvres choisies, ou de celles de ses disciples (lesquelles ? la Bible ? le Coran ? les Upanishad ?), plutôt que de leur parler directement et de les serrer contre son cœur ? Drôle de père: drôle de Dieu ! Et quel père plus atroce que celui, lorsque ses enfants souffrent, qui se cacherait encore ? Quel est ce Père qui se cache à Auschwitz, qui se cache au Rwanda, qui se cache quand ses enfants ont mal ou peur ? Le Dieu caché de Pascal ou d'Isaïe serait un mauvais père. Comment l'aimer ? Comment y croire ? L'athéisme fait une hypothèse plus vraisemblable. Si Dieu ne se voit pas et si l'on ne peut comprendre qu'il se cache, c'est peut-être, tout simplement, qu'il n'existe pas...

Le deuxième argument est également négatif, mais cette fois moins empirique, si l'on peut dire, que théorique. La principale force de Dieu, pour la pensée, c'est d'expliquer le monde, la vie, la pensée elle-même... Mais que vaut cette explication, dès lors que Dieu, s'il existe, est par définition inexplicable ? Que la religion soit une croyance possible, je n'en disconviens pas. Qu'elle soit respectable, cela va sans dire. Mais je m'interroge sur son contenu de pensée. Une religion, qu'est-ce d'autre qu'une doctrine qui explique quelque chose que l'on ne comprend pas (l'existence de l'univers, de la vie, de la pensée...) par quelque chose que l'on comprend encore moins (Dieu) ? Et que peut valoir, d'un point de vue rationnel, cette explication ? C'est « l'asile de l'ignorance », comme disait Spinoza, et je crains que cela ne vaille aussi pour son Dieu à lui. « Dieu, c'est-à- dire une substance constituée par une infinité d'attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie, existe nécessairement. » C'est ce qu'on lit dans l'Éthique. Mais que savons-nous d'un tel Dieu et de cette infinité d'attributs infinis ? Rien, sinon ce qui nous ressemble ou nous traverse (l'étendue, la pensée), qui ne fait pas un Dieu. Mais alors, pourquoi y croire ? C'est Freud ici qui a raison « L'ignorance est l'ignorance; nul droit à croire quelque chose n'en saurait dériver. » Ou plutôt on a le droit de croire, mais cela ne saurait tenir lieu de connaissance. À la gloire du pyrrhonisme. L'ignorance ne saurait justifier quelque foi que ce soit, ni la raison, s'agissant de Dieu, supprimer l'ignorance.

Mais alors, expliquer quoi que ce soit par Dieu (et a fortiori prétendre tout expliquer !), c'est ne rien expliquer du tout, et remplacer une ignorance par une autre. À quoi bon ?

« Je ne suis pas athée, me dit un ami: je crois qu'il y a du mystère... » La belle affaire ! Faudrait-il, pour être athée, ne pas le reconnaître ? Faudrait-il prétendre tout savoir, tout comprendre, tout expliquer ? Ce ne serait plus athéisme mais scientisme, mais aveuglement, mais bêtise. Quand bien même on pourrait tout expliquer dans l'univers, et nous en sommes loin, il resterait à expliquer l'univers même, ce qu'on ne peut. Puis il resterait à juger, à agir, à aimer, à vivre, ce à quoi aucune science ne saurait suffire. Être athée, cela ne dispense pas d'être intelligent et lucide. C'est ce qui distingue l'athéisme du scientisme, qui serait un athéisme borné. Le scientisme est une religion de la science: ce n'est pas l'essence de l'athéisme, du matérialisme ou du rationalisme; c'est leur fossilisation dogmatique et religieuse. Disons que c'est la religion des incroyants cette libre-pensée-là est le contraire, presque toujours, d'une pensée libre !

Que les sciences n'expliquent pas tout, que la raison n'explique pas tout, c'est une évidence. Il y a de l'inconnu,