courage suffit. La gentillesse suffit. L'humanité suffit. Et quel Dieu, à l'inverse, pour justifier la haine, la violence,' la lâcheté, la bêtise, qui sont innombrables ? Laissons de côté les monstres ou les salauds. La simple connaissance de soi, comme l'a vu Bergson, pousse à plaindre ou à mépriser l'homme, davantage qu'à l'admirer. Trop d'égoïsme, de vanité, de peur. Trop peu de courage et de générosité. Trop d'amour-propre, trop peu d'amour. L'humanité fait une création tellement dérisoire. Comment un Dieu aurait-il pu vouloir cela ? Il y a du narcissisme dans la religion, dans toute religion (si Dieu m'a créé, c'est que j'en valais la peine !), et c'est une raison d'être athée: croire en Dieu, ce serait péché d'orgueil.
L'athéisme, à l'inverse, est une forme d'humilité. C'est se prendre pour un animal, comme nous sommes en effet, et nous laisser la charge de devenir humains. On dira que cette charge, c'est Dieu qui nous l'a confiée, pour nous permettre de prolonger, à notre mesure, sa création... Peut-être. Mais la charge est trop lourde et la mesure trop étroite pour que la réponse puisse me satisfaire. La nature, pour les petits êtres que nous sommes, me paraît une cause plus plausible.
Le troisième argument positif peut surprendre davantage. Si je ne crois pas en Dieu, c'est aussi, et peut-être surtout, parce que je préférerais qu'il existe. C'est le pari de Pascal, si l'on veut, mais inversé. Il ne s'agit pas de penser le plus avantageux, la pensée n'est ni un commerce ni une loterie -, mais le plus vraisemblable. Or Dieu est d'autant moins vraisemblable, me semble-t-il, qu'il est davantage désirable: il correspond tellement bien à nos désirs les plus forts qu'il y a lieu de se demander si nous ne l'avons pas inventé pour cela.
Que désirons-nous plus que tout ? Ne pas mourir, retrouver les êtres chers que nous avons perdus, être aimés... Et que nous dit la religion, par exemple chrétienne ? Que nous ne mourrons pas, ou pas vraiment, ou que nous allons ressusciter; que nous retrouverons en conséquence les êtres chers que nous avons perdus; enfin que nous sommes d'ores et déjà aimés d'un amour infini... Que demander de plus ? Rien, bien sûr, et c'est ce qui rend la religion improbable ! Par quel miracle le réel, qui n'est pas coutumier du fait, correspondrait-il à ce point à nos désirs ? Cela ne prouve pas que Dieu n'existe pas - puisqu'il serait celui, par définition, qui rendrait les miracles possibles -, mais cela pousse à se demander si Dieu n'est pas trop beau pour être vrai, si croire en lui ce n'est pas prendre ses désirs pour la réalité, bref si la religion n'est pas simplement une illusion, au sens que Freud donne à ce terme: non forcément une erreur (il se pourrait, répétons-le, que Dieu existe), mais « une croyance dérivée des désirs humains ». Cela, sans la réfuter, la fragilise. « Il serait certes très beau, écrit Freud, qu'il y eût un Dieu créateur du monde et une Providence pleine de bonté, un ordre moral de l'univers et une vie future, mais il est cependant très curieux que tout cela soit exactement ce que nous pourrions nous souhaiter à nous-mêmes. » Croire en Dieu, c'est croire au Père Noël, mais à la puissance mille, ou plutôt infinie. C'est se donner un Père de remplacement, qui nous consolerait de l'autre ou de sa perte, qui serait la Loi vraie, l'Amour vrai, la Puissance vraie, qui accepterait enfin de nous aimer comme nous sommes, de nous combler, de nous sauver... Qu'on puisse le désirer, je ne le comprends que trop bien. Mais pourquoi faudrait-il y croire ? « La foi sauve, disait Nietzsche, donc elle ment. » Disons qu'elle nous arrange trop pour n'être pas suspecte.
Imagine que je te dise: « Je cherche à acheter un appartement de six pièces, à Paris, derrière le Luxembourg, avec vue imprenable sur le parc... Je ne voudrais pas y mettre plus de cent mille francs; mais j'ai confiance, j'y crois ! » Tu te dirais vraisemblablement: « Il se fait des illusions; il prend son désir pour la réalité... » Tu aurais évidemment raison (quoique cela, en toute rigueur, ne prouve rien: qui sait si je ne vais pas tomber sur un vendeur fou ?). Et quand on te dit que Dieu existe, que nous allons ressusciter, etc., tu ne trouves pas cela plus incroyable qu'un six-pièces derrière le Luxembourg, pour moins de cent mille francs ? C'est que tu as une bien petite idée de Dieu, ou une bien grande de l'immobilier.
La position de l'athée est d'autant plus forte, à l'inverse, qu'il préférerait le plus souvent avoir tort. Cela ne prouve pas qu'il ait raison, mais le rend moins suspect de ne penser, comme tant d'autres, que pour se consoler ou se rassurer...
Je m'arrête là. Je ne voulais que suggérer quelques arguments possibles. A chacun d'en évaluer la force et les limites. Que Dieu existe, c'est une possibilité qu'on ne peut rationnellement exclure. C'est ce qui fait de l'athéisme ce qu'il est: non un savoir mais une croyance, répétons-le, non une certitude mais un pari.
C'est aussi ce qui doit nous pousser tous à la tolérance. Athées et croyants ne sont séparés que par ce qu'ils ignorent. Comment cela pourrait-il compter davantage que ce qu'ils connaissent: une certaine expérience de la vie, de l'amour, de l'humanité souffrante et digne, malgré sa misère, de l'humanité souffrante et courageuse ? C'est ce que j'appelle la fidélité, qui doit rassembler ceux que leur foi ou leur non-foi respectives risqueraient autrement d'opposer. Il serait fou de s'entre-tuer pour ce qu'on ignore. Mieux vaut se battre, ensemble, pour ce que nous connaissons ou reconnaissons: une certaine idée de l'homme et de la civilisation, une certaine