qu'un. Mais le monde est sans esprit. Mais l'esprit n'est pas le monde. C'est pourquoi l'oubli toujours menace, et la mort, et la fatigue, et la bêtise, et le néant. Exister, c'est résister; penser, c'est créer; vivre, c'est agir.

Tout cela ne se peut qu'au présent - puisqu'il n'y a rien d'autre -, à quoi rien ne succède qu'un autre présent. Qui pourrait vivre dans le passé ou dans l'avenir ? Il faudrait n'être plus, ou n'être pas encore. Vivre au présent, comme disaient les stoïciens, comme disent tous les sages, ce n'est pas un rêve, ce n'est pas un idéal, ce n'est pas une utopie c'est la très simple et très difficile vérité de vivre. L'éternité ? Si elle est « un perpétuel aujourd'hui », comme le voulait saint Augustin, il est vain de l'attendre pour demain. Si elle est « un éternel présent », comme il disait encore, elle est le présent même: ce n'est pas le contraire du temps mais sa vérité, qui est d'être toujours présent, en effet, toujours actuel, toujours en acte. « Nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels », lit-on dans l'Éthique de Spinoza. Cela ne veut pas dire que nous ne mourrons pas, ni que nous ne sommes pas dans le temps. Cela veut dire que la mort ne nous prendra rien (puisqu'elle ne nous prendra que l'avenir, qui n'est pas), que le temps ne nous prend rien (puisque le présent est tout), enfin qu'il est absurde d'espérer l'éternité - puisque nous y sommes déjà. « Si l'on entend par éternité, disait de son côté Wittgenstein, non une durée infinie mais l'intemporalité, alors il a la vie éternelle celui qui vit dans le présent. » Nous l'avons donc tous, toujours: nous sommes déjà sauvés. Parce que nous sommes intemporels ? Ce n'est pas le mot que j'utiliserais. Mais parce que l'éternité n'est rien d'autre, dans sa vérité, que le toujours-présent du réel et du vrai. Qui a jamais vécu un seul hier ? un seul demain ? Nous ne vivons que des aujourd'hui, et c'est ce qu'on appelle vivre.

La Relativité n'y change rien. Que le temps dépende de la vitesse et de la matière, comme nous le savons depuis Einstein, cela ne saurait faire être ce qui n'est plus, ni ce qui n'est pas encore. « Ce que la pensée d'Einstein frappe de relativité, remarque Bachelard, c'est le laps de temps, c'est la longueur du temps. » Ce n'est pas le présent même. C'est ce que confirme l'exemple fameux des «jumeaux de Langevin ». C'est une expérience de pensée, mais que les calculs et l'expérimentation (au niveau des particules élémentaires) confirment. Deux frères jumeaux, dont l'un reste sur Terre, dont l'autre fait un voyage intersidéral à une vitesse proche de celle de la lumière, n'auront plus, au retour de celui-ci, le même âge: l'astronaute n'aura vieilli que de quelques mois, le sédentaire de plusieurs années... On en conclut, et l'on a sans doute raison, que le temps varie en fonction de la vitesse, qu'il n'y a pas un temps universel et absolu, comme le croyait Newton, mais des temps relatifs ou élastiques,

susceptibles, en fonction de la vitesse, de se dilater plus ou moins... Dont acte. Mais cela ne saurait faire exister le passé ni l'avenir. Mais aucun des deux jumeaux n'aura pour cela quitté le présent un seul instant. C'est en quoi, comme dit encore Bachelard, « l'instant, bien précisé, reste, dans la doctrine d'Einstein, un absolu ». C'est un point de l'espace-temps: « hic et nunc; non pas ici et demain, non pas là-bas et aujourd'hui », mais ici et maintenant. C'est le présent même, ou plutôt les présents. Ils sont tous différents, tous changeants, mais aussi tous actuels. C'est ce qu'on appelle l'univers, qui n'est pas davantage dans le temps que dans l'espace parce qu'il est l'espace-temps et son unique réalité.

Comment pourrait-on sortir du présent, puisqu'il est tout ? Pourquoi le voudrait-on, puisque l'esprit même lui appartient ? Vois ce chapitre qui s'achève il est presque entièrement derrière toi, comme un passé déjà qui s'estompe. Mais tu ne l'as lu et ne le liras jamais qu'au présent, comme je ne l'ai écrit qu'au présent. Il en va de même de ta vie, et c'est autrement important. Elle n'est pas tapie dans l'avenir, comme un destin ou un fauve menaçants. Ni cachée dans le ciel, comme un paradis ou une promesse. Ni enfermée dans ton passé, comme dans une cave ou une prison. Elle est ici et maintenant: elle est ce que tu vis et fais. Au cœur de l'être. Au cœur du présent. Au cœur de tout - dans le grand vent du réel et de vivre. Rien n'est écrit. Rien n'est promis. Si seul le présent existe, comme disaient les stoïciens, seuls les actes sont réels. Rêver, fantasmer, imaginer ? C'est agir encore, puisque c'est vivre, mais a minima. Tu aurais tort de te l'interdire, mais plus encore de t'en contenter. Prends plutôt ta vie en main: sois plutôt présent à la présence ! « Le plus grand obstacle à la vie, écrit Sénèque, c'est l'attente. Tout ce qui arrivera plus tard est du domaine de l'incertain: vis dès maintenant. »

Carpe diem (cueille le jour) ? Ce n'est pas assez, puisque les jours passent, puisque aucun ne demeure. Cueille plutôt le présent, qui change et continue: Carpe aeternitatem.

Vivre dans l'instant ? Il n'en est pas question. Comment pourrais-tu, dans l'instant, préparer un examen ou tes vacances, tenir tes promesses, construire une amitié ou un amour ? Vivre au