Quant à ceux qui font de la politique leur métier, il faut leur savoir gré des efforts qu'ils consacrent au bien commun, sans trop s'illusionner pourtant sur leur compétence ni sur leur vertu: la vigilance fait partie des droits de l'homme, et des devoirs du citoyen.

On ne confondra pas cette vigilance avec la dérision, qui rend tout dérisoire, ni avec le mépris, qui rend tout méprisable. Etre vigilant, c'est ne pas croire sur parole; ce n'est pas condamner ou dénigrer par principe. On ne réhabilitera pas la politique, comme c'est aujourd'hui urgent, en crachant perpétuellement sur ceux qui la font. Dans un Etat démocratique, on a les hommes politiques que l'on mérite. C'est une raison de plus pour préférer ce régime à tous les autres: on n'a le droit, moralement, de s'en plaindre - et certes ce ne sont pas les raisons qui manquent ! - qu'à la condition d'agir, avec d'autres, pour le transformer.

Il ne suffit pas d'espérer la justice, la paix, la liberté, la prospérité... Il faut agir pour les défendre, pour les faire avancer, ce qui ne peut se faire efficacement qu'à plusieurs et passe pour cela,

nécessairement, par la politique. Que celle-ci ne se réduise ni à la morale ni à l'économie, J'y ai assez insisté. Cela ne signifie pas, rappelons-le pour finir, qu'elle soit moralement indifférente ni économiquement sans portée. Pour tout individu attaché aux droits de l'homme et à son propre bien-être, s'occuper de politique n'est pas seulement son droit: c'est aussi son devoir et son intérêt et la seule façon, sans doute, de les concilier à peu près. Entre la loi de la jungle et la loi de l'amour, il y a la loi tout court. Entre l'angélisme et la barbarie, il y a la politique. Des anges pourraient s'en passer. Des bêtes pourraient s'en passer. Des hommes, non. C'est pourquoi Aristote avait raison, au moins en ce sens, d'écrire que « l'homme est un animal politique »: parce qu'il ne saurait, sans la politique, assumer tout à fait son humanité.

« Faire bien l'homme » (la morale) ne suffit pas. Il faut aussi faire une société qui soit humaine (puisque c'est la société, à bien des égards, qui fait l'homme), et pour cela toujours la refaire, au moins en partie. Le monde ne cesse de changer; une société qui ne changerait pas serait vouée à sa perte. Il faut donc agir, lutter, résister, inventer, sauvegarder, transformer... C'est à quoi sert la politique. Il y a des tâches plus intéressantes ? Peut-être. Mais il n'y en a pas, à l'échelle de la société, de plus urgentes. L'histoire n'attend pas; ne reste pas bêtement à l'attendre !

L'histoire n'est pas un destin, ni seulement ce qui nous fait: elle est ce que nous faisons, ensemble, de ce qui nous fait, et c'est la politique même.