spontané de choix (autrement dit un pouvoir qui n'est soumis qu'à ce que je suis), ou bien un pouvoir indéterminé de choix (qui n'est soumis à rien, pas même à ce que je suis) ? Liberté relative donc (si elle reste dépendante du moi), ou absolue (si même le moi en dépend) ? Suis-je seulement libre, par exemple, de vouloir voter à droite, si je suis de droite, à gauche, si je suis de gauche (spontanéité du vouloir: je choisis qui je veux), ou bien suis-je libre aussi de vouloir voter à droite ou à gauche, ce qui suppose, sauf situation très particulière, que je choisisse librement d'être de droite ou de gauche ? Cette seconde liberté de la volonté, bien sûr mystérieuse (puisqu'elle semble violer le principe d'identité: elle suppose que je puisse vouloir autre chose que ce que je veux), c'est ce que les philosophes appellent parfois liberté d'indifférence ou, plus souvent, libre arbitre. Marcel Conche en donne une définition parfaite: « Le libre arbitre, écrit-il, c'est le pouvoir de se déterminer soi-même sans être déterminé par rien. » C'est la liberté au sens de Descartes, de Kant, de Sartre. Elle suppose que ce que je fais (mon existence) n'est pas déterminé par ce que je suis (mon essence), mais le crée, au contraire, ou le choisit librement. « Ce que Descartes a parfaitement compris, écrit Sartre, c'est que le concept de liberté renfermait l'exigence d'une autonomie absolue, qu'un acte libre était une production absolument neuve dont le germe ne pouvait être contenu dans un état antérieur du monde, et que, par suite, liberté et création ne faisaient qu'un. » C'est en quoi cette liberté n'est possible, comme Sartre l'a bien vu, que si « l'existence précède l'essence »: si l'homme est libre, c'est « qu'il n'est d'abord rien », comme dit encore Sartre, et ne devient que « ce qu'il se fait ». Je ne suis libre qu'à la condition, certes paradoxale, de pouvoir n'être pas ce que je suis et être ce que je ne suis pas, qu'à la condition, donc, de me choisir absolument moi-même: « Chaque personne, écrit Sartre dans L'Être et le néant, est un choix absolu de soi. » Ce choix de soi par soi, sans lequel le libre arbitre est impossible ou impensable, c'est ce que Platon, à la fin de La République, illustrait par le mythe d'Er (où l'on voit les âmes, entre deux incarnations, choisir leur corps et leur vie), c'est ce que Kant appelait le caractère intelligible, et c'est ce que Sartre, dans une autre problématique, appelle la liberté originelle, qui précède tous les choix et dont tous les choix dépendent. Cette liberté-là est absolue ou elle n'est pas. Elle est le pouvoir indéterminé de se déterminer soi-même, autrement dit le libre pouvoir de se créer soi. C'est en quoi elle n'appartient qu'à Dieu, penseront certains, ou fait de nous des dieux, si nous en sommes capables.
Donc deux sens principaux - liberté d'action et liberté de la volonté -, dont le second se subdivise à son tour en deux: spontanéité du vouloir ou libre arbitre.
Est-ce là tout ? Non pas. Car la pensée aussi est un acte: faire ce qu'on veut, ce peut être également penser ce qu'on veut. Cela pose le problème de la liberté de pensée ou, comme on dit encore, de la liberté de l'esprit.
Le problème recouvre pour une part celui de la liberté d'action, et donc de la liberté au sens politique la liberté de pensée (et tout ce qu'elle suppose: liberté d'information, d'expression, de discussion...) fait partie des droits de l'homme et des exigences de la démocratie.
Mais cela va plus loin. Soit donné, par exemple, un problème de mathématiques: en quel sens suisje libre de le résoudre ? Au sens d'un libre choix ? Certes pas: la solution s'impose à moi, si je comprends la démonstration, aussi nécessairement qu'elle m'échappe si je ne la comprends pas. Et pourtant nulle contrainte extérieure, lorsque je raisonne, ne pèse sur moi: je pense ce que je veux,
c'est-à-dire ce que je sais (ou crois) être vrai. Nulle liberté, sans ce savoir-là, ne saurait être effective. Si l'esprit n'avait aucun accès, même partiel, au vrai, il resterait prisonnier de soi: ses raisonnements ne seraient qu'un délire parmi d'autres, et toute pensée serait symptôme. La raison est ce qui nous en sépare. Elle nous libère de nous-même en nous ouvrant à l'universel. « L'esprit ne doit jamais obéissance, écrit Alain. Une preuve de géométrie suffit à le montrer; car si vous la croyez sur parole, vous êtes un sot; vous trahissez l'esprit. » C'est pourquoi aucun tyran n'aime la vérité. C'est pourquoi aucun tyran n'aime la raison. Parce qu'elles n'obéissent qu'à elles-mêmes: parce qu'elles sont libres. Non, certes, qu'on puisse penser n'importe quoi. Mais parce que la nécessité du vrai est la définition même de son indépendance.
Combien font, dans un espace euclidien, les trois angles d'un triangle ? Quels que soient mon corps, mon milieu, mon pays, mon inconscient, et même quoi que je sois moi-même, je ne peux répondre - si je connais et comprends la démonstration - que « 180 degrés ». Et pourtant je ne suis jamais aussi libre, peut-être bien, que lorsque je ne me soumets ainsi qu'à la vérité, pour autant que je la connais, disons qu'à la raison, autrement dit qu'à cette nécessité en moi qui n'est pas moi, mais qui me traverse et que je comprends.