On pourrait multiplier les exemples. Combien font 3 fois 7 ? Quel est le rapport entre la masse et l'énergie ? Qui a tué Henri IV ? Est-ce le Soleil qui tourne autour de la Terre, ou la Terre qui tourne autour du Soleil ? Seul celui qui l'ignore a le choix de sa réponse; seul celui qui le sait peut répondre librement.
Liberté de l'esprit: liberté de la raison. Ce n'est pas un libre choix; c'est une libre nécessité. C'est la liberté du vrai, ou la vérité comme liberté. C'est la liberté selon Spinoza, selon Hegel, sans doute aussi selon Marx et Freud: la liberté comme nécessité comprise, ou comme compréhension, plutôt, de la nécessité.
Être libre, au vrai sens du terme, c'est n'être soumis qu'à sa propre nécessité, explique Spinoza c'est en quoi la raison est libre, et libératrice.
Liberté d'action, spontanéité du vouloir, libre arbitre, liberté de l'esprit ou de la raison... Entre ces quatre sens, chacun pourra choisir celui ou ceux (ils ne sont pas exclusifs les uns des autres) qui lui paraissent les plus importants ou les mieux avérés. Ce choix sera-t-il libre ? On ne peut répondre absolument, puisque aucun savoir n'y suffit, puisque toute réponse suppose elle-même un choix et en dépend. La liberté est un mystère, au moins autant qu'un problème: nous ne pourrons jamais la prouver ni même la comprendre tout à fait. Ce mystère nous constitue; c'est en quoi chacun en est un aussi pour soi. Si j'ai choisi d'être ce que je suis, ce ne peut être que dans une autre vie, comme le voulait Platon, que dans un autre monde, comme dirait Kant, ou du moins qu'à un autre niveau que celui, comme dirait Sartre, de la délibération volontaire, qui en résulte. Mais de cette autre vie, de cet autre monde ou de cet autre niveau, je ne peux avoir, par définition, aucune
connaissance: c'est pourquoi je peux toujours croire que je suis libre (au sens du libre arbitre) sans jamais pouvoir le prouver.
Il se peut d'ailleurs que l'essentiel ne soit pas là. De ces quatre sens, trois au moins sont difficiles à contester: la liberté d'action, la spontanéité du vouloir, la libre nécessité de la raison. Ces trois libertés ont en commun de n'exister, pour nous, que relativement (on est plus ou moins libre d'agir, de vouloir, de connaître), et cela fixe suffisamment l'enjeu: la question est moins de savoir si tu es absolument libre, que de comprendre comment tu peux le devenir davantage. Le libre arbitre, qui est un mystère, importe moins que la libération, qui est un processus, un objectif et un travail.
On ne naît pas libre, on le devient. Du moins c'est ce que je crois, et que la liberté pour cela n'est jamais absolue, ni infinie, ni définitive: qu'on est plus ou moins libre, et qu'il s'agit bien sûr de le devenir le plus possible.
Quand bien même ce serait Sartre qui aurait raison, cela ne suffirait pas, sur ce dernier point, à me donner tort. Que nous soyons déjà libres ou pas, cela ne saurait nous dispenser, comme dirait Nietzsche, de devenir ce que nous sommes. Quand bien même chaque personne serait « un choix absolu de soi », comme le veut Sartre, cela ne saurait nous dispenser d'agir, ni de vouloir, ni de connaître.
La liberté n'est pas seulement un mystère; c'est aussi un but et un idéal. Que le mystère ne puisse être complètement éclairci, cela n'empêche pas que l'idéal nous éclaire. Que le but ne puisse être totalement atteint, cela n'empêche ni d'y tendre ni de s'en rapprocher.
Il s'agit d'apprendre à se déprendre: cette liberté: là n'est qu'un autre nom, comme on voit chez Spinoza, pour la sagesse.